Traverser la nuit
Résidence de recherche et de création au village d'Akunnaaq, Groenland, 05 décembre 2024 - 03 janvier 2025
Au début, ce n'est pas clair. Quand on me dit "imaqa", je pense "peut-être". Ce "peut-être" dont l'issue, la résolution dépendraient fondamentalement plus d'une volonté de faire, la mienne ou celle d'autrui, que d'une raison extérieure.
Alors, jusqu'ici je ne comprends pas la signification de ce "imaqa", qui laisse à une forme de hasard, de chance, d'imprévu, de lâcher-prise, l'occasion à une chose, un évènement, de se produire.
La tempête de cette nuit, soudainement interrompue dans la matinée, reprend doucement. Le frasil que je voulais photographier ce midi se disloque déjà. Je l'ai manqué. Je le savais. Ici, tout est muable, plus qu'ailleurs. La lumière change aussi vite qu'un café coule. Le vent monte plus tôt que la nuit tombe. Une nuit polaire, un paysage, mille variations.
Croire que l'on pourra faire demain ce à quoi l'on pense maintenant est une erreur.
Alors, c'est dans l'expression totale d'un "imaqa" intérieur que je suis partie, peu avant quinze heures, photographier ce qu'il restait de frasil dans le port. Une heure plus tard, me voilà montée sur une pierre, autant fascinée qu'inquiétée par l'épaisseur du blizzard que je vois s'avancer vers moi, et tout engloutir avec lui : formes, couleurs, pierres, mer, horizon, lumière et traces. Mes traces que je cherche pour revenir sur mes pas, vers le village.
{extrait de mon journal, 22/12/2024, Akunnaaq}
Traverser la nuit
Résidence de recherche et de création au village d'Akunnaaq, Groenland, 05 décembre 2024 - 03 janvier 2025
De l'écriture
À Akunnaaq, j'ai partagé mon temps entre l'écriture, la marche, le dessin et la contemplation - éveillée ou endormie.
Project title
This project aims to develop a user-friendly mobile application.
Mon travail, tel qu’il se développe aujourd’hui, trouve son origine dans de longs voyages solitaires, vécus dans des conditions extrêmes qui ont mis mon corps et mon esprit à l’épreuve : marche de mille kilomètres, voeux de silence pendant plusieurs jours, road trips à travers l’Islande et la Scandinavie en hiver, expérience de vie dans une cabane dans les bois.
La représentation du paysage (forêts, volcans, déserts) y tient une place importante, tout comme la question des sentiments de solitude et d’isolement.
Mon travail s’organise de manière protocolaire et ritualisée, à travers différentes formes, par la création de séries inscrites dans la durée. Ce rapport au temps dans ma pratique se manifeste de manière exemplaire par la tenue du journal des forêts « Wengen Diary », depuis sept ans, ainsi que par une attention portée aux cycles de vie et cosmiques (lunaire, solaire, astrologique).
Traverser la nuit
Mon projet de résidence à Akunnaaq, au Groenland, s’inscrit naturellement dans mon processus de travail puisqu’il consiste à aller d’un bout à l’autre d’une longue et interminable nuit, en immersion dans un village isolé, au milieu d’un paysage aride et froid et dans des conditions de vie difficiles.
Comment tenir la désorientation de cette traversée ?
Je m’attacherai à être à l’écoute du paysage et de ses variations lumineuses, du rythme et des petits et grands évènements de la vie quotidienne ainsi que des êtres qui l’habitent.
A côté d’un journal de bord, qui tiendra le décompte des jours et décrira la réalité de mon quotidien, je mettrai en place un ensemble de protocoles et d’outils artistiques.
L’un d’eux consistera à étudier les variations de lumière au cours de la nuit polaire, pour rendre compte de ses qualités, à la fois dans l’espace d’une journée et durant un cycle complet de nuits jusqu’au premier lever de soleil.
Pour cela, je me donnerai rendez-vous chaque jour à la même heure pour observer depuis un même lieu les variations de couleurs, de nuances, de teintes et de valeurs du paysage.
Je m’intéresserai aussi à la présence des lumières artificielles et aux relations intérieur/extérieur, à travers les motifs de la fenêtre et de la porte comme interface entre vie quotidienne domestique et paysage urbain ou naturel.
Je porterai un intérêt particulier aux objets usuels, traditionnels et rituels, en vue de créer une série d'œuvres en céramique. Je réaliserai pour cela un inventaire prenant la forme de croquis et de photographies.
Dans une série de dessins réalisés sur le vif, j’aimerais aussi donner à voir la manière dont les inuits occupent leur espace et meublent leurs intérieurs, un thème que j’ai plusieurs fois exploré dans mon travail sous l’appellation d’intérieurs fictifs. La rencontre et, je l’espère, la création d’une relation avec les habitants de ce pays seront une toute nouvelle façon de travailler pour moi.
En m’interrogeant sur ce qu’est la conception du temps au cœur de la nuit, je serai attentive à ce qui structure une forme de chaos temporel, dans lequel les jours se confondent avec les nuits. Je souhaite participer à la vie locale et collecter les enregistrements sonores des cérémonies, rituels, fêtes (païennes, religieuses et spirituelles) et micro-évènements auxquels j’assisterai.
Jusqu’au lever de Soleil, évènement majeur dans la vie groenlandaise, célébré communément par une fête, je souhaite découvrir quel lien le peuple inuit entretient encore avec la nuit, en regardant comment et à quel endroit ce lien, peut-être spirituel, ferait écho au miens.
Une dimension symbolique et spirituelle
L’expérience de la nuit a quelque chose de très concret mais elle revêt aussi pour moi des dimensions intime, symbolique et spirituelle, qui sont à l'œuvre dans mon travail.
La question du passage du réel au spirituel et au symbolique y occupe une place importante, notamment à travers l’utilisation codifiée de symboles personnels ou empruntés à l’astrologie et à la tarologie, d’animaux, d’objets et de lieux. Dans l’interprétation que je fais des évènements et des sujets qui m’intéressent, je procède par collage et par montage entre ce qui relève, selon moi, du réel, de la fiction ou du spirituel.
Au milieu de l’Arctique, terre de contrastes et d’oppositions par excellence, cet axe matériel/spirituel trouvera son plein potentiel d’expression, me permettant de confronter deux points de vue, l’un réel, l’autre spirituel, à travers la représentation du couple lumière/obscurité.
Je m’interrogerai sur ce que signifie « traverser la nuit », autant au sens physique que métaphorique, à la fois pour moi et pour le peuple inuit.
Couplé à l’étude picturale des variations de lumière, approche concrète et matérielle du territoire plongé dans la nuit, je tiendrai un journal de lumière et de nuit. Principalement écrit et dessiné, il sera le support d’une interprétation plus intime, tournée vers la dimension spirituelle de mon expérience.
A travers l’usage de symboles personnels et/ou empruntés à la culture inuit, j’étayerai mes représentations de la nuit, notamment dans ce qu’elle convoque de récits, de mythes, de croyances, de rituels personnels et collectifs.